France et Europe

Alain Mabanckou

 

Propos recueillis par François Durpaire.

Publié le 9 août 2006

RDN : Certains écrivains sont des amateurs de sport. On connaît par exemple l'amour de Paul Fournel pour le Tour de France. Nous sommes quelques jours après la finale de la coupe du monde. Cela suscite-t-il en vous une réaction?

Je crois - et malgré la fin tragique de ce Mundial avec le coup de tête de Zidane - que le football demeure un moment de réconciliation des peuples. Un match de foot c’est comme un roman, on installe vingt-deux personnages sur le terrain (la page), et chacun de ces personnages joue son rôle jusqu’au dénouement de l’intrigue : la victoire d’un camp contre l’autre. Mais, il se trouve qu’il y a parfois des matchs qui se terminent avec une égalité…

RDN : Vous venez d'être nommé à l'université de Californie, à Los Angeles ? Les brillants intellectuels africains et antillais n'ont-ils pas leur place dans le monde universitaire français?


Cela dépend de la France. Il y a encore une hiérarchie en France, et l’expérience, l’enthousiasme ne sont pas encore des éléments crédibles dans un système où il est mieux d’être médiocre et diplômé que brillant et pragmatique. Il faut conjuguer la théorie à la pratique. J’ai comme l’impression que le système français privilégie la pure spéculation et la conservation des acquis par des partisans de la corporation.

RDN : Connaisseur des deux, sur le plan théorique et pratique, quelle différence voyez-vous entre la société française et nord-américaine? Avez-vous un avis sur ce que l'on commence à nommer en France la "question noire" ?


La « question noire » est vieille aux Etats-Unis, et la France la découvre curieusement alors que le Noir est sur son sol depuis longtemps. Il fut même un temps où les Noirs d’Amérique ont trouvé asile en France : James Baldwin, Joséphine Baker, William Du Bois etc. Mais ceux-là ne posaient pas semble-t-il d’épines à la France. On les considérait ici comme des Américains tandis qu’en Amérique ils étaient des « niggers ». Maintenant les « autres noirs » grondent, parce qu’ils sont venus ici à cause et pour la France. Celle-ci avait besoin d’eux. Comment comprendre qu’on les efface tout d’un coup ? D’où cette question noire qui se pose avec acuité. Les Américains sont passés par la lutte pour les droits civiques. Les Noirs de France réclament presque la même chose : être considérés comme des hommes ordinaires et non comme des taches… noires !

RDN : Votre dernier ouvrage Verre cassé vient de paraître en poche. Comment expliquer son succès ?

En réalité, son succès m’a étonné à une période où il est rapporté qu’écrire sur la littérature c’est aller droit dans le mur. Or Verre Cassé est un livre qui parle des livres, et je constate que le lectorat a su prouver que le livre était une de nos acquisitions intellectuelles les plus belles. RDN : Vous écrivez un blog au quotidien. Pensez-vous que les technologies de l'information sont à même de renouveler l'approche que l'on a du livre et de la lecture, ainsi que le travail de l'écrivain? Les blogs deviennent des relais, et l’on peut apprendre la parution d’un livre dans le monde entier. Cet élan va aller croissant, et beaucoup d’éditeurs songent même à faire de la publicité par ce moyen. Un blog comme celui du journaliste et écrivain Pierre Assouline est aussi important qu’un espace d’un journal où l’on parle des livres. Et c’est tant mieux…

RDN : Que pensez-vous de l'avenir de la francophonie au XXIième siècle? Vous êtes écrivain, mais aussi grand lecteur? Quelle est votre famille littéraire?


La Francophonie devra encore changer de visage, ne plus être considérée comme la continuation de la politique étrangère de la France par d’autres moyens. Et puis, sur le plan de la création, c’est à la France d’intégrer la francophonie et non le contraire. La France demeure une nation, l’espace francophone est une globalité, un pont entre continents. Ma famille littéraire va des écrivains latino-américains en passant par les écrivains européens et africains : Gabriel garcia Marquez, Céline ou encore Yambo Ouologuem.
Je conseille toujours à mes amis de lire Ernesto Sabato, auteur de Le Tunnel, ou encore Dino Buzzati, Le Désert des tartares, ou Gabriel Garcia Marquez L’Automne du patriarche ou enfin, Mort à crédit de Céline et L’Ivrogne dans la brousse d’Amos Tutuola.

Alain Mabanckou

Alain Mabanckou est né au Congo-Brazzaville en 1966 et réside à Santa Monica en Californie.
Il a fait des études de Droit à Paris-Dauphine.

D’abord « Visiting Distinguished Artist » à l’Université de Michigan-Ann Arbor pendant une année, il a occupé un poste de professeur de littératures francophone et afro-américaine dans cette université pendant quatre ans.
Il enseigne depuis 2006 à l’Université de Californie Los Angeles (UCLA).

Il est l’auteur de cinq romans, six recueils de poèmes et de plusieurs nouvelles. Il a reçu en 1995 le prix de la Société des Poètes Français ; en 1998 le Grand Prix littéraire de l’Afrique noire ; en 2004 la médaille de citoyen d’honneur de la ville de Saint-Jean d’Angely en Charente Maritime (France). Verre Cassé, roman traduit en anglais, en américain, en polonais, en espagnol et en coréen est paru aux éditions du Seuil en janvier 2005. Trois de ses romans ont été réédités dans la collection poche « Points » des Editions du Seuil : Verre Cassé, African Psycho, Les Petits-fils nègres de Vercingétorix.

Depuis 2006, Alain Mabanckou est membre du jury de deux prix littéraires : le Prix des Cinq Continents de la Francophonie et le Prix RFO du livre. Son dernier ouvrage en date, Mémoires de porc-épic, paraît le 24 août 2006 aux éditions du Seuil. Nous recommandons la lecture quotidienne de son blog .