Edito

Publié le 9 juillet 2006

Liberté, égalité, diversité

Le 9 juillet 2006, l’équipe de France est en finale de la coupe du monde. En football comme ailleurs, il n’y a pas forcément de sens à l’histoire. Le sort d’un match, comme les affaires du monde, se joue le plus souvent sur un coup de dé. Alors à quoi bon épiloguer ? Ne devrions-nous pas plutôt faire remarquer la vanité du sport-spectacle et déplorer qu’une boule de cuir que se disputent vingt-deux individus puisse faire s’arrêter, quatre-vingt dix minutes durant, le reste du monde ? Nous n’en empêcherions pas moins des millions de gens de vouloir trouver un sens à leurs émotions, pour les replacer dans l’histoire de leur vie et dans celle de leur société. On se souvient de l’ « opposition France-Allemagne » à Séville, en 1982. On y voyait là, au-delà des querelles de l’histoire, l’affrontement de deux peuples, l’un fondé sur le sol, l’autre, sur le sang.
Quant à ce match du 9 juillet, il est le dernier d’une génération qui, depuis huit ans, a été à l’origine des plus grands mouvements de ferveur collective que la France ait connus depuis la Libération. Cette équipe a transmis cette « fierté d’être Français » à des millions de jeunes, bien plus sûrement que les discours qui, comme l’a encore fait récemment le pontifiant Max Gallo, se contentent de mettre en doute leur volonté d’intégration. Alain Finkielkraut ironisait il y a quelques semaines sur une équipe «black-black-black» qui serait la risée de l’Europe… Ce multiculturalisme est certes insupportable aux nostalgiques de la France blanche. Sur vingt-trois joueurs : dix Antillais, six Africains, un avant-centre d’origine argentine, un chti converti à l’islam… Quant au capitaine, on évite pudiquement de préciser qu’il est «maghrébin», l’expression semblant être devenue péjorative au fur et à mesure qu’elle servait à évoquer les jeunes dits « de banlieue ». Lorsque les Français s’apprêteront à voter, se souviendront-ils qu’ils doivent à cette équipe-là d’avoir donné au monde la seule image d’une France qui gagne. Et, même pour quelques soirs, d’être parvenue à faire de la diversité des Frances, une France unie dans sa diversité…
Mais il est fort dommageable que cette visibilité ne sorte pas des stades… Car s’il y a des footballeurs, il y a aussi de brillants créateurs, des chercheurs, des avocats, des journalistes, des citoyens… Harry Roselmack présente désormais le journal le plus regardé d’Europe, comme un «signal» que la France change... Car la diversité fait gagner dans tous les domaines, même dans l’indifférence. En littérature, certains des plus grands écrivains français, de Maryse Condé à Glissant (notre seul nobelisable ?), doivent à leur couleur de peau d’être relégués au rayon « littérature étrangère » des librairies. L’objectif de notre revue est de mettre en exergue ces richesses et, loin de toute centralisation asséchante, de susciter des recherches sur la diversité au sein des espaces francophones. La pensée peut trouver les moyens d’éviter que ne se creusent les fractures au sein de nos sociétés, en mettant à distance la volonté des uns de s’approprier, au détriment de tous les autres, notre culture commune.

François Durpaire, 9 juillet 2006