Edito

Publié le 20 septembre 2006

De Henry à Harry

« Parce qu’on est plusieurs à regarder un jeu, on croit que c’est plus qu’un jeu. Le geste de Zidane, c’est l’intrusion de la lourde réalité dans le jeu.»
Dany Laferrière


Suite à la coupe du monde de football, le sénateur italien Roberto Calderoli déclarait : « La victoire de Berlin est une victoire de notre identité […] qui a gagné contre une équipe qui a sacrifié sa propre identité en alignant des noirs, des islamistes et des communistes pour obtenir des résultats ». Peu de responsables politiques français se sont scandalisés de ces propos. Faut-il s’en étonner ? Il aurait fallu, pour défendre cette équipe comme elle le méritait, l’aimer non pas pour ses victoires, mais pour ce qu’elle représentait. Il aurait fallu être fier de ce que nous sommes, pour pouvoir répondre au leader populiste : « Nous n’avons pas renoncé à notre identité. Cette équipe, c’est notre identité ! ». Au lieu de cela, on pouvait entendre certains intellectuels français stigmatiser une équipe « black-black-black »… C’était pourtant cette équipe-là qui, un mois durant, avait redonné aux Français le désir d’être ensemble… Puisqu’il faut trouver un sens aux événements les plus aléatoires, la défaite en finale semblait dire : le foot a beaucoup fait, mais il ne peut pas tout. Après le sport, c’est au reste de la société de prendre le relais de la diversité : médias, représentation politique, corps professoral des grandes écoles et des universités, etc. Le 17 juillet 2006, une semaine après la finale, dont Thierry Henry était l’un des principaux acteurs, un autre Antillais - Harry Roselmack - devenait pour l’été le présentateur du Journal télévisé le plus regardé d’Europe.
Des progrès, donc… mais très ténus. Bientôt un an après les émeutes urbaines. Et les familles antillaises ne peuvent toujours pas louer un logement dans Paris à leurs enfants, parce que les propriétaires n’acceptent pas qu’elles se portent garantes (« trop loin… »). Un universitaire d’origine africaine ne peut toujours pas se marier parce que l’administration, craignant les mariages « blancs », a rendu quasi impossible les mariages mixtes… Comme l’affirme Achille Mbembé, « le racisme à la française consiste à nier et à refouler la réalité du racisme tout court de telle manière que l’on puisse commettre des actes racistes tout en ne les reconnaissant jamais comme tels ». Car les blocages sont enracinés dans les principes auxquels les Français sont les plus attachés : l’égalité, la République… Toute nomination d’un « non-Blanc » – on l’a constaté pour Harry – est aujourd’hui suspecte d’être une « discrimination à l’envers ». La marge est pourtant assez grande pour que tenter de réduire les discriminations qui pèsent sur les minorités ne s’apparente à un traitement de faveur à leur égard… Nous continuons à imposer aux citoyens des choix exclusifs - êtes vous Français ou Noir ? Français ou Martiniquais ? Français ou Musulman ? Français ou Bourguignon ?- , ne comprenant pas l’atout que constituerait cette capacité à assumer plusieurs identités. Comme ces enfants de 1998 qui portaient ensemble les drapeaux algériens et français. Nous nous en prenons à ceux d’entre nous qui, venus d’ailleurs, seraient les mieux à même de faire dialoguer notre société avec le reste du monde. Ne comprenant pas qu’en rejetant l’autre, nous ne faisons que nous refuser nous-mêmes. En organisant la chasse aux « enfants sans-papiers », la France se prive de la meilleure partie d’elle-même, celle qui, demain, serait le mieux à même de répondre aux défis de la globalisation.


François Durpaire, 20 septembre 2006